Quelle place pour la culture lesbienne en France ? Discussion
sur la place de la culture lesbienne en France et plus particulièrement
sur les relations entre les associations lesbiennes et les différents
partenaires institutionnels qu’elles sont amenées à
rencontrer. Traditionnellement,
Cineffable propose des débats qui suivent les thématiques
abordées dans les films programmés. Mais cette année,
Cineffable a vécu, dans le cadre d’une demande de subvention,
une situation difficile et assez décevante avec la Mairie de
Paris. Il apparaissait clairement que ce n’était pas
seulement Cineffable, festival de films, qui était malmené
mais Cineffable, association lesbienne et en définitive toute
la culture lesbienne qui n’était ni soutenue ni reconnue
par la Mairie de Paris. L’association
Cineffable contacte la Mairie de Paris en juillet
2001 parce que le festival, qui n’a pas de lieu pour sa 14e
édition, cherche une aide logistique. Mais l’association
peine à trouver un interlocuteur et à obtenir un rendez-vous.
Au bout de quelques mois, un chargé de mission reçoit
une représentante, lui annonce que la Mairie n’a aucune
salle à proposer et lui conseille de remplir un dossier de
demande de subvention qui permettrait de louer un lieu plus cher.
Le dossier est envoyé à Régine Hatchondo, directrice
du service cinéma de la Mairie à qui l’on demande
un rendez-vous. Durant la conversation, elle apprendra que Cineffable
organise deux festivals de films lesbiens mais ne saura rien du caractère
non-mixte du festival d’octobre. Elle refuse de nous accorder
plus de cinq minutes et nous conseille d’aller plutôt
demander une subvention au CNC. Michèle
Larrouy, Margot Meynier et Lydie Rauzier des Archives recherches et
cultures lesbiennes (ARCL) Marie-Hélène Bourcier est sociologue et membre d’Archilesb, un groupe qui existe depuis un an et qui se donne pour objectif de réfléchir à la notion d’archives des minorités. « Réflexion qui n’apparaît pas dans le dossier de présentation du projet de centre d’archives des homosexualités mené par Christopher Miles et Jean Le Bitoux. Ce dossier annonce 59 participants dont 5 femmes, inconnues pour la plupart. La vice-présidente est hétéro et universitaire avec une vision d’historienne non militante. Le dossier déclare que « pour des raisons historiques », les archives seront principalement masculines. Beaucoup de noms sont cités mais toutes les personnes n’ont pas été prévenues. Le projet exclut la problématique trans. M. Le Bitoux propose à Marie-Hélène Bourcier de participer mais elle refuse de cautionner ce projet dans l’état où il est. Une subvention de 100 000 euros est accordée par la Mairie de Paris à l’automne 2002. Il est inadmissible qu’une spécialiste de l’histoire des lesbiennes comme Marie-Jo Bonnet et que toutes les historiennes féministes soient exclues. Archilesb ! se donne pour mission de réfléchir à des archives vivantes, basées par exemple sur des interviews parce que les lesbiennes ne sont pas forcément présentes dans des archives institutionnelles et officielles. Clémentine Autain est la seule en plein conseil de Paris à avoir rappelé l’importance de la parité et à avoir prononcé le mot « lesbienne ». La pétition d’Archilesb est lancée au 14e festival Quand les lesbiennes se font du cinéma.» Nathalie
Rubel co-présidente de la Coordination lesbienne en France Sylvie
Meinier, présidente de l’association grenobloise Les
Voies d’Elles Marie-Jo
Bonnet, chercheuse et historienne Nicole
Azzaro, Conseillère de Paris Fabienne
Leleux, adjointe au Maire du Xe arrondissement de Paris * Michelle Larrouy dit que «le courant des lesbiennes non-mixtes est un courant politique. Il n’est pas reconnu dans la sphère politique et pas seulement à un niveau administratif. On refuse d’entendre que le lesbianisme n’est pas seulement une sexualité mais une mouvance politique de résistance avec une construction de solidarité. Faut-il dans ce contexte se résoudre à l’autogestion ?» * Fabienne Leleux ne croit guère à une «classe» lesbienne mais à des citoyennes engagées. Elle incite les lesbiennes à s’engager en politique. Elle reconnaît que la non-mixité pose problème. Il faut savoir alors convaincre les plus réticents, trouver des termes précis politiquement. Elle a été sensible pendant les interventions aux termes «autonomie», «indépendance», «pouvoir d’expression». * Marie-Hélène Bourcier remarque que la culture féministe n’est pas présente dans les services de la Mairie de Paris. «Il faut une interlocutrice lesbienne qui connaît la culture lesbienne et qui sait que la culture non-mixte lesbienne représente les trois quarts de la culture lesbienne. On n’a pas à se justifier. On parle de parité culturelle. La non-mixité est aussi très présente chez les gays. L’identité gay est en train de devenir hégémonique économiquement.» * Une femme rejoint ces propos : «La communauté gay a moins à se battre. Les gays en France ne se remettent pas en question par rapport au sexisme. Ici, contrairement à l’Allemagne, les féministes se sont désolidarisées des lesbiennes. En France, on parle d’égalité, nous sommes tous égaux donc on ignore les différences. En Allemagne, les lieux non-mixtes ne s’appellent pas «non-mixtes» mais «lieux de femmes lesbiennes». La non-mixité peut-elle devenir une expression de non-visibilité ? Ici, le terme «lesbienne» seul est très courageux, est-ce aussi se mettre en minorité ?» * Une femme reprend : Cineffable existe depuis quatorze ans. Si l’on multiplie ces années d’existence par le nombre de femmes présentes au festival, on obtient le nombre d’habitants d’une petite ville. Il n’y a pas à se justifier. Si nous sommes en démocratie, on doit nous aider aussi. * Autre intervention : «Les lesbiennes sont refusées par la droite car lesbiennes, refusées par la gauche car non-mixtes. Il n’y a que des sens interdits partout ! Combien donne-t-on aux hommes ? Combien nous donne-t-on ? Il faut comparer la superficie des lieux des uns et des autres. Il faut autant pour les hommes que pour les femmes.» * Nathalie Rubel : «On accorde beaucoup d’argent aux gays pour la communication qui représente souvent la moitié du budget d’un événement. Les lesbiennes communiquent peut-être trop peu.» * Une organisatrice de Cineffable : «Cineffable enregistre 9000 entrées par an (durant ses deux festivals), ce qui est un excellent résultat pour un événement culturel, pourtant cela n’intéresse pas nos interlocuteurs. Cineffable organise un festival mixte en juin mais cela ne change rien pour eux. Nous sommes prêtes à expliquer notre démarche mais on refuse de nous entendre. C’est la preuve que notre société est encore très lesbophobe.» * Une femme note «Il y a aussi des lesbiennes dans les associations mixtes, il ne faut pas l’oublier.» * Marie-Jo Bonnet : «Dans les associations qui se disent gays et lesbiennes et qui ne représentent que les gays, les lesbiennes sont les alibis universalistes des gays.» * Florence Fradelizi, organisatrice du festival gay et lesbien de Paris : Elle n’est pas un alibi dans l’équipe du festival, elle s’occupe de la programmation des films lesbiens et des demandes de subvention. Elle remarque l’arrivée d’une certaine «pédocratie» : «Certains gays se servent des associations pour acquérir une notoriété, obtenir des contacts, servir leurs propres intérêts politiques et profiter des subventions.» * Nathalie Rubel : «L’Inter-associatif LGBT, organisateur des marches des fiertés LGBT, devient de plus en plus féministe. C’est pour cela d’ailleurs que de nombreuses associations lesbiennes l’ont rejoint. C’est aussi à nous de prendre notre place.» * Suzette Triton : «L’argent alloué aux gays est un vrai problème. Les projets mixtes sont soutenus. Les autres sont découragés. Les lesbiennes non-mixtes portent aussi un projet politique qui fait peur. Les institutions ne veulent pas mettre d’argent dans un projet lesbien. La Mairie défend la parité dans ses services mais elle subventionne un projet sans parité, le centre d’archives des homosexualités de Le Bitoux qui ne consulte pas les archives gays et lesbiennes ni les archives féministes déjà existantes. Il n’y a pas non plus de femmes hauts responsables dans ce projet d’archives qui se crée.» * Esther : «Nous devons avoir des stratégies autonomes, avec nos propres forces, nos moyens et nos façons différentes d’exister et arrêter de reproduire ce que font les gays puisque ce n’est pas possible.» * Michelle Larrouy : «Il faut continuer l’autogestion et l’interpellation locale de nos représentants. Il faut être un groupe de pression. Si nous cessons de faire pression, nous mourrons. Beaucoup d’associations partout en France sont contre la structure élitiste mise en place dans ce centre d’archives des homosexualités.» * Marie-Hélène Bourcier : «La pétition contre l’exclusion des trans et des lesbiennes dans le projet des archives des homosexualités est aussi signée par des gays qui contestent ce mode de fonctionnement où, dans le meilleur des cas, certains gays placent 3 ou 4 trans dans leurs projets, à condition qu’ils aient une politique assimilationiste. Comment Le Bitoux a pu présenter ce dossier de création d’archives et croire que ça passerait ? Comment certains responsables d’associations, comme à l’inter-LGBT, ont pu valider ce dossier et y voir une «différence structurelle ?» * Margot Meynier : «Les deux archives, mixte et non-mixte, ne sont pas antinomiques. Les lesbiennes et les trans doivent se battre pour être représentés autant que les gays dans le projet d’archives mixtes.» * Nicole Azzaro propose de demander le listing des subventions accordées aux associations gays et aux associations lesbiennes pour voir s’il y a une parité et de réfléchir à comment on peut rétablir une certaine égalité. * Fabienne Leleux relève l’importance de ce genre de rencontre qui va lui permettre dorénavant d’avoir d’autres types de réflexes. En tant qu’élue, elle n’a pas toutes les informations et ne connaît que les projets soutenus par la Mairie. Selon elle, il faut beaucoup plus solliciter les élus.
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