La violence dans le couple lesbien

Ce débat a été organisé pendant le 12e Festival international de films lesbien de Paris Quand les Lesbiennes se Font du Cinéma, le samedi 4 novembre 2000.

Il s'est déroulé avec la participation de : Suzanne Newman, réalisatrice de Violencia Domestica, Nicole Bonnin, organisatrice d'ateliers sur la violence lesbienne à Die en mai 1999 (pendant une rencontre de la Coordination Lesbienne Nationale) et à Poitiers au printemps 2000.


Pourquoi ce thème ?

Quelques films (trop rares) sélectionnés par le Festival en parlent : une fiction en 1999 My Primary Lover Never Hollywood Kissed Me de Lisa Gornick et un documentaire en 2000 Violencia Domestica de Suzanne Newman. Certaines d'entre nous savent que la violence existe au sein des relations lesbiennes pour en avoir eu des témoignages ou l'avoir vécu. Pourtant, nous en parlons très peu. Nicole Bonnin est la seule à notre connaissance à avoir organisé des discussions autour de ce sujet depuis 1999. Or il nous semble que la violence entre lesbiennes est plus répandue qu'on ne peut l'imaginer et cette violence nous concerne toutes. Elle doit donc être considérée comme un sujet public et non strictement privé. Nous tenons à rappeler que le terme violence ne renvoie pas aux disputes, à l'agressivité passagère ou aux problèmes de communication. Par violence, nous entendons violence physique ou verbale régulière, humiliation, pouvoir exercé sur l'autre, limite imposée à la liberté de l'autre. Mais comment savoir si une relation est violente ?

Ce débat a réuni 120 femmes environ, ce qui prouvait bien le besoin d'un tel atelier. D'après les interventions, de nombreuses femmes présentes avaient vu le documentaire Violencia Domestica qui avait éveillé leur intérêt. D'autres venaient par curiosité. D'autres enfin, vivaient ou avaient vécu une situation violente dans leur relation en tant qu'agressée ou agresseuse et souhaitaient échanger leurs témoignages.

La peur de l'autre, rapports de pouvoir

Plusieurs femmes ont exprimé leur surprise de découvrir qu'il puisse exister de la violence entre lesbiennes, de constater que la violence n'est pas une affaire de stéréotypes. Que le rapport de force ne se limite pas à l'affrontement homme/femme mais se développe "chaque fois que l'on ne trouve plus les mots, chaque fois que l'on a peur de l'autre même entre femmes". Notre société, a fait remarquer l'une d'entre nous, est basée sur des rapports de force et de pouvoir et les femmes ne peuvent y échapper. Certaines ont parlé de leur étonnement face à la violence des lesbiennes rencontrée dans les boîtes par exemple.

Violence dans la relation hétérosexuelle et dans la relation homosexuelle

Certaines ont tout de suite voulu distinguer la violence subie par les femmes dans une relation hétérosexuelle et dans une relation homosexuelle. Les femmes présentes ont alors réagi en disant qu'il devait s'agir pourtant de la même dynamique puisqu'elle impliquait la prise de pouvoir sur l'autre. Pourtant certaines ont insisté sur le fait qu'il devait y avoir une différence fondamentale entre une relation hétérosexuelle violente et homosexuelle violente et que cette différence serait une des clés du sujet.

L'égalité, le rôle des femmes dans la famille et notre image de nous-mêmes

La discussion s'est portée alors sur la nature patriarcale de notre société qui veut que les hommes soient des chefs et que les femmes soient soumises. Certaines participantes soutenaient que compte tenu de cette inégalité de base homme/femme, les femmes ne pouvaient pas être violentes comme les hommes et qu'il n'était pas logique qu'elles le soient. "Pourquoi est-ce qu'une femme serait violente vis à vis d'une autre femme ? Quel serait son intérêt ?" Certaines ont alors demandé à parler de l'inégalité du système patriarcal, de la structure de base de notre société plutôt que de l'aspect psychologique et émotionnel au sein d'une relation individuelle violente entre femmes. D'autres ont alors répondu que la société est composée d'individu(e)s. Pour changer le rôle des femmes dans la société, il faut commencer par changer notre rôle au sein de la famille et notre image de nous-mêmes. Il faut d'abord être convaincues que nous méritons l'égalité. Cela commence à un niveau personnel, puis cela peut être transposé sur une plus grande échelle. Et certaines ont répondu qu'il y avait beaucoup de discussions sur la société patriarcale et l'inégalité des sexes mais pratiquement aucune sur la violence conjugale et qu'il fallait donc insister sur ce dernier point.

Violence physique et violence affective

D'après d'autres, la limite victime/agresseuse n'est pas toujours claire. De même, le politique et le privé sont proches : quand une femme souffre, cela renvoie à l'histoire de toutes les femmes. Certaines femmes ont alors parlé des multiples aspects de la violence au sein d'une relation, en expliquant qu'une violence émotionnelle est tout aussi difficile que la violence physique. De nombreuses femmes ont raconté ce qu'elles avaient vécu. Presque toutes avaient subi de la violence. Une seule a dit qu'elle avait battu sa compagne. C'est uniquement quand son amante est entrée à l'hôpital, à la suite des mauvais traitements infligés, qu'elle s'est rendu compte qu'elle avait besoin d'aide et qu'elle a commencé une thérapie. Une autre femme a raconté qu'un jour elle avait failli battre son amante mais s'était retenue de le faire.

Comment en sortir ?

Les femmes présentes se sont demandées comment l'on pouvait se sortir d'une relation violente et comment soigner ses blessures psychologiques. Nous avons évoqué les multiples obstacles qui empêchent une femme de quitter une telle relation. Certaines femmes ont parlé de leurs difficultés à en parler à leur famille. D'autres ont dit qu'elles avaient été rejetées par leur famille et leurs amis proches à cause de leur homosexualité. Certaines femmes ont parlé de dépendance financière vis à vis de la femme violente. D'autres redoutent une réaction violente de la part de l'agresseuse et attendent que la crise passe. Beaucoup de femmes restent parce qu'elles ne se reconnaissent pas le droit à un amour sans violence. Les partenaires violentes réussissent aussi très bien à culpabiliser leur amante en leur faisant croire qu'elles sont responsables.

L'analyse, la thérapie

Les femmes présentes ont partagé leurs expériences en matière d'analyse et de thérapie. Nous avons aussi évoqué les cycles de violence et de comportements dans les relations. Mettre fin à une relation ne veut pas dire forcément que la prochaine sera différente. Il est important de se responsabiliser et d'avoir la maîtrise de nos vies. Si l'on ne peut changer l'attitude de sa partenaire, on peut essayer de changer la sienne propre. Il est aussi important d'analyser notre rôle dans une relation et de se demander pourquoi nous sommes attirées par certaines dynamiques afin d'en adopter une plus saine. Nous avons par exemple évoqué certains schémas de reproduction qui nous poussent à recréer et revivre avec nos partenaires les relations conflictuelles que nous avions avec nos parents. Nous avons beaucoup insisté sur le fait que le soutien est essentiel. En tant qu'amies, on ne devrait pas faire semblant d'ignorer une relation violente. Il est important de savoir proposer d'écouter et proposer de l'aide. Nous avons insisté sur le fait qu'en tant que communauté, les lesbiennes devaient refuser l'attitude des femmes violentes parce qu'elle n'est pas acceptable et ne peut être tolérée, et que c'est à nous, communauté lesbienne, de les encourager à se soigner.

Soutien privé et institutionnel

Certaines regrettent qu'il n'y ait aucun support institutionnel qui permettrait d'aborder beaucoup plus souvent le problème des violences conjugales au sein d'une relation homosexuelle. Il semble évident que de nombreuses femmes qui ont échangé leurs expériences ce jour-là désireraient participer à une sorte d'atelier sur ce sujet si cela existait.

Justice

La discussion s'est prolongée plus tard que prévu. Au bout de deux heures, certaines femmes ont manifesté leurs frustrations de n'avoir pas assez discuté du patriarcat et de la domination masculine. Certaines ont affirmé à ce moment qu'on ne peut pas, en tant que lesbiennes subissant des violences de la part d'autres lesbiennes, recourir à la justice patriarcale, par principe, ou tout simplement parce que nous sommes constamment victimes de la lesbophobie et que ces violences entre femmes sont difficiles à énoncer, ou parce qu'on ne veut pas donner de mauvaises images des relations lesbiennes. Et puis les hétéros étant déjà mal accueillies dans les commissariats, les lesbiennes le seraient encore davantage. Certaines ont alors répondu que nous étions des citoyennes à part entière, que nous avions le droit de bénéficier des lois de la République et que nous pouvions tout à fait porter plainte contre une femme sans donner de détails supplémentaires sur notre relation si cela est vraiment trop difficile (en disant qu'il s'agit d'une colocataire par exemple).

Une femme a évoqué les cas où les femmes étaient violentes vis à vis de leurs maris/compagnons, ce qui a déclenché une salve de protestations.

En conclusion...

Il est évident que même si les violences entre femmes sont incomparablement moins importantes que celles des hommes sur les femmes, ce sujet concerne de très nombreuses lesbiennes. Le débat était très intense, mouvementé, passionné. Nous avons entendu beaucoup de témoignages personnels de femmes qui ont vécu une relation homosexuelle violente ou qui vivent cette situation encore actuellement. Certaines femmes ont remarqué qu'elles avaient trouvé certains témoignages très impressionnants, comme celui de la femme qui avait été violente et qui avait travaillé là-dessus pour évoluer. Certaines ont regretté une certaine dichotomie entre celles qui théorisent sans parler de leur vécu (celles qui évoquaient le patriarcat et les structures sociales) et celles qui avaient besoin de parler de façon personnelle de leurs réflexions et de leurs relations. Il y a peut-être suffisamment de femmes intéressées pour créer un groupe de soutien pour les femmes qui sont dans une relation violente que ce soit en tant qu'agressées ou agresseuses. Le sujet est encore nouveau et il va nous falloir mette en place toute une sensibilisation et prise de conscience de ce problème. Comment reconnaître une relation violente, comment en sortir et aider les autres à s'en sortir, quelle est l'influence de l'orientation sexuelle sur de telles relations,. Il y a vraiment un besoin énorme de travail dans ce sens.